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Jean-Paul Brobeck n'est plus

On parle de nos diplômé(e)s

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19/12/2025

Jean-Paul Brobeck fait partie des enseignants marquants de l'histoire de l'ESJ Lille. Tout autant que son accent alsacien, c'est sa passion à nous enseigner les méandres de la photo qui a marqué 13 générations d'étudiants. Toujours fidèle à l'Ecole, il avait été fait Ancien d'Honneur il y a quelques années.

Pour lui rendre hommage, nous reproduisons ci-dessous le texte que lui avait consacré Maurice Deleforge dans son livre posthume "Encore un mot sur l'ESJ Lille".

Réseau ESJ et ses anciens élèves présentent à sa famille et à ses proches leurs condoléances émues.

"Chambol"

Maintenant que les fils ont été renoués, maintenant qu’on peut être sûr qu’il sera des nôtres pour la convention des promotions se terminant par 3, j’ai cru bon de l’en avertir au téléphone : surtout qu’il ne me demande pas à revoir les locaux dans lesquels il a exercé pendant treize années. Ils n’existent plus. La ville les a fait raser pour construire des logements neufs à l’emplacement qu’ils occupaient. Seule subsistera, dans le décor, la cheminée qui fut autrefois celle de la morgue avant que la morgue (pudiquement dénommée « annexe de la faculté de médecine ») ne laisse place à un studio de radio et de télévision. Une fois encore, il faut avoir recours à Baudelaire : « La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel». Venu du Boulevard Vauban avec le reste du déménagement, le labo photo occupait la majeure partie du premier étage ; au rez-de-chaussée, entre autres salles, celle où je donnais mon cours de français mais nous n’avions pas lieu aux mêmes heures, ni le même jour.

C’est en 1981 que vous avez frappé à notre porte, monsieur Chambol. Le moment était bien choisi : nous manquions d’un formateur pour initier les étudiants de première année à la pratique de la photographie. Vous aviez exercé cet art dans un quotidien de votre Alsace natale. Sans aller jusqu’à en faire votre métier (vous en aviez un autre), vous y aviez accumulé les références les plus flatteuses, propres à nous mettre en confiance et nous avons signé. En dehors de la photographie, vous aviez une autre passion, la cuisine et c’est elle que vous cultiviez dans un lycée hôtelier de Dunkerque, où vous aviez alors votre emploi principal. La cuisine, la photographie, les deux passions sont parfaitement conciliables ; le tout est de ne pas mélanger les produits. Voilà ce que je répèterais chaque année en vous présentant aux étudiants de la promotion montante. Vous attendiez ce mot d’esprit et vous auriez été bien attristé s’il n’avait pas fleuri, comparable à l’élément d’un rituel. L’année avait été solennellement introduite par la session de Paul Almasy, éminent photojournaliste et ami de l’école. Il était temps de passer à la pratique et la pratique ce serait vous.

Quelques rares étudiants excellaient déjà dans l’art d’écrire avec la lumière. Beaucoup n’avaient jamais tenu en main un appareil et savaient tout au plus qu’il valait mieux ne pas diriger l’objectif vers les boutons de leur gilet. Ils ignoraient tout des réglages préalables à l’envol du petit oiseau. C’est à vous qu’il reviendrait de leur apprendre. Ma barbe et ma chevelure blanches, qui prenaient comme il faut la lumière vous ont toujours apporté loyalement leur concours pour la maîtrise du diaphragme.

Un tel apprentissage, vous l’avez donc guidé pendant treize ans, en mobilisant les ressources de votre premier métier, celui que vous n’aurez jamais cessé d’exercer sous des formes diverses, celui d’instituteur. Mais ce que je suis en train d’écrire ressemble de plus en plus au discours d’apparat que comporte l’attribution des palmes académiques. Les avez-vous déjà ? Je n’en sais rien et je n’ai pas envie de vous le demander. Je préfère scruter cette belle photo de vous prise par un de vos apprentis au cours d’une séance de travail. Ce n’est pas la photo de l’arroseur arrosé, ni celle du photographe photographié : c’est le portrait du maître (du maître d’école s’il faut vraiment le préciser) occupé à expliquer comment il faut faire. C’est tout vous.

On ne s’étonnera pas que ceux et celles que vous avez guidés dans cet apprentissage ne vous aient jamais oublié. Je n’étais pas surpris d’entendre revenir leurs noms dans nos conversations téléphoniques : Sophie Bécherel, responsable de la rubrique Sciences de France Inter, de la 61e promotion comme Agnès Duperrin ; Christophe Delay, de la 66e promotion, qui fut 15 ans à Europe n°1 avant de passer à BFM TV et qui prête sa voix, inoubliable elle aussi, aux commentaires de vos diaporamas. A ces noms que je venais de vous soumettre pour vérifier mon information, vous n’avez pas manqué d’ajouter celui d’Harry Sagot, 60e promotion, auquel vous avez rendu visite dans son Périgord adoptif, et de Bertrand Fichou, de la 59e, toujours en activité dans le département Jeunesse de Bayard Presse.

Tous ceux-là, et tant d’autres, n’auront eu aucune peine à vous identifier sous le nom que je vous donne ici, mon cher Chambol. Ils auront su y reconnaître votre prénom d’état civil, prononcé avec un accent alsacien dont vous n’êtes pas dépourvu. Ce fut votre nom de plume pour la douzaine de contributions au mensuel Panorama pour lesquelles j’ai volontiers rempli le rôle d’entremetteur (un Anglais parlerait de go-between, vocable qui a l’avantage de ne comporter aucune connotation vénérienne). Les articles que vous avez publiés dans La Croix dimanche du Nord sans que j’y sois pour rien étaient également signés Aloïs Chambol, le prénom étant celui de l’illustre neurologue Alzheimer, il ne faut manquer aucune occasion de le remettre en mémoire.

Vous nous veniez chaque mercredi, jour où vaquait le lycée hôtelier de Dunkerque, à bord de cette BMW qui était à l’époque votre coquetterie. Vous ne repartiez pas, tard dans la soirée, sans avoir exigé –et finalement obtenu- que tout le matériel ait été remis en place. Tel était votre emploi du temps parmi nous, au fil des semaines. La fin d’année occasionnait ce qu’on appelle en restauration un coup de feu.

A votre arrivée parmi nous, André Mouche venait de concevoir l’idée d’une plaquette de promotion, à l’origine baptisée « Plaquette première chance ». La promotion y était rassemblée d’abord sous la forme d’une photo de groupe. Chaque étudiant disposait ensuite d’une page pour s’y présenter, à d’éventuels employeurs par exemple, au moyen d’un curriculum et d’un texte libre, le tout complété par un portrait. De 1984 à 1993, la plaquette comporte cette mention : « Les photos illustrant cette plaquette sont de Jean-Paul Brobeck, chef de travaux pratiques à l’ESJ ». La photo de chacun aussi bien que la photo de groupe, pour laquelle vous aviez réquisitionné chaque année dans l’école les emplacements propices à un tel rassemblement. N’en trouvant plus à votre convenance, vous avez jeté votre dévolu sur la station de métro République-Beaux Arts, proche de la rue Gauthier de Châtillon. Elle vous a inspiré quelques réussites. Deux d’entre elles me sont particulièrement chères. La promotion sortante y pose sur la rose des vents représentée sur le sol, au moment même où les Vents, qu’on espère favorables, vont disperser ces jeunes gens et ces jeunes filles à la surface du territoire national, voire des terres habitées. J’ai fait agrandir l’une d’elles en priant le photographe de faire de la rose de vents le personnage principal de la composition, quitte à couper les êtres humains à la taille. C’est pourquoi l’actuel directeur de l’ESJ, Pierre Savary, ne figurait sur les murs de ma demeure que sous l’anonymat d’un pantalon de couleur sombre.

La plaquette de la 67e promotion, sortie en 1993, est la dernière qui porte votre signature. C’est que vous avez quitté l’Ecole, l’année même où je résignais les fonctions de directeur des études, dans des circonstances que je n’ai jamais cherché à élucider. J’ai cru comprendre que des candidats à votre succession piétinaient au portillon en attendant que vous laissiez la place libre. La mode était alors à la tendance floue. Ce n’était pas, mais alors pas du tout, votre tendance personnelle. Vous n’aimiez rien tant que ce qui était net. Vous aviez aussi, il faut bien le dire, un penchant peut-être inavouable pour ces tours de force qui consistent à inscrire la façade d’un palais dans le rétroviseur d’une voiture en stationnement, un incendie dans le casque d’un pompier. J’ai peine à croire que cela ait pu être retenu contre vous. De toute façon, le temps était venu de mettre un terme à votre carrière, de quitter le lycée hôtelier de Dunkerque et de faire valoir vos droits à la retraite de l’Education nationale.

Vous avez regagné votre Alsace natale, d’où n’ont cessé de me parvenir les signes de vie que vous me prodiguiez : cartes de vœux illustrées par vos soins, trilogie de vidéos mettant en scène des épisodes fameux du folklore local. Au téléphone, où nous nous retrouvions de temps à autre, vous me donniez des nouvelles des concours que vous aviez disputés et la plupart du temps gagnés, des trophées dont vous faites toujours collection. Nous parlions aussi de nos santés respectives. Bien que vous soyez, en apparence plus solide que le Pont Neuf, la vôtre n’a jamais cessé de vous inspirer de l’inquiétude. C’est qu’il n’y a pas suffisamment de sang dans votre sucre et que cela vous obligeait à vous piquer le bout du doigt à tout bout de champ. Jusqu’à la mise au point, aux dernières nouvelles, d’une machine qui vous affranchit de cette servitude. Comme vous êtes depuis toujours familier de sommités médicales en toutes spécialités, comme la dame qui partage votre vie à Mulhouse fut, des années durant, un cardiologue de renom, il n’est pas interdit d’espérer que nous nous reverrons à la célébration du centenaire. A condition que nous allions jusque-là, bien sûr, que Dieu nous prête vie, comme on disait en des temps très anciens et que les petits cochons ne nous mangent pas.

Maurice Deleforge

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